Depuis 2018, la fréquence d’apparition du mot « genre » a quadruplé dans les échanges numériques entre adolescents francophones, selon les relevés du CNRS. Cette accélération contraste avec la relative stabilité d’autres marqueurs identitaires dans le langage courant.
Certains éducateurs rapportent des incompréhensions croissantes lors des discussions sur les stéréotypes, alors que d’autres notent l’apparition de nouveaux usages non répertoriés par les dictionnaires traditionnels. Plusieurs plateformes sociales encouragent la créativité syntaxique, brouillant les frontières entre normes linguistiques et pratiques adolescentes.
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Pourquoi le mot « genre » s’est imposé dans le langage adolescent
Le mot « genre » a quitté les bancs de la grammaire pour s’installer dans les échanges quotidiens des adolescents, loin de sa définition première. Autrefois cantonné à distinguer masculin et féminin dans les manuels scolaires, il s’est métamorphosé en véritable passe-partout du discours adolescent. Ce n’est pas une simple mutation lexicale : c’est le symptôme d’une transformation profonde du langage menée par une génération qui cherche à tracer ses propres lignes.
L’un des moteurs de ce changement se trouve dans la traversée de l’enfance vers l’adolescence. À ce moment charnière, les jeunes cherchent à s’émanciper du vocabulaire imposé par l’école, la famille, les institutions. Ils s’inventent des codes, s’approprient des mots, érigent « genre » en étendard de leur identité linguistique. Les sociolinguistes des Cahiers sociolinguistiques le soulignent : derrière ce choix, il y a une démarche consciente de construction de soi, un besoin de se distinguer du monde des adultes.
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Si « genre » s’est imposé, c’est aussi parce qu’il sait tout faire. Il nuance, il amorce un exemple, il colore une comparaison. Voici quelques tournures qui illustrent cette souplesse :
- « genre, t’as vu »
- « c’est genre bizarre »
- « il fait genre le malin »
Désormais, le mot s’est détaché de la question du masculin et du féminin. Il n’est plus seulement associé aux débats sur l’identité de genre : il s’est ancré dans le quotidien, enrichissant le langage adolescent d’une nouvelle texture, parfois en rupture avec les normes traditionnelles.
Les réseaux sociaux ont accéléré ce mouvement. Les jeunes échangent à la vitesse de l’éclair, de Paris à Marseille, de la grande ville à la périphérie. Sur ces plateformes, « genre » se propage, s’adapte, évolue. Ce sont des terrains d’essai linguistique où le vocabulaire s’invente en temps réel, loin des dictionnaires mais en lien étroit avec la vie des adolescents.
Entre affirmation de soi et codes sociaux : ce que révèle l’usage de « genre »
Employer « genre » ne relève pas d’un simple effet de mode dans la conversation des jeunes. Ce mot est devenu le reflet d’une affirmation de soi, d’une volonté de marquer sa place dans le groupe sans renoncer à sa singularité. Il s’agit d’un signal, d’un code partagé, qui dit à la fois : « je suis des vôtres » et « je me distingue ». La langue, ici, prend une dimension sociale : elle inclut, elle distingue, elle bâtit des frontières mouvantes autour de l’appartenance.
Les adolescents manient « genre » avec agilité. Ils le glissent entre deux phrases, l’adaptent selon le contexte, à l’école, à la maison, dans la rue. « Genre » devient un outil pour nuancer, pour suggérer, pour atténuer un propos sans se mettre en difficulté. Les spécialistes en sociolinguistique l’ont observé : derrière cette aisance, il y a une véritable capacité à s’approprier la langue et à en faire un terrain d’expérimentation personnel.
Pour saisir les différents rôles que joue ce mot, il suffit de regarder comment il s’intègre dans la conversation :
- Comme outil d’identité, il ouvre de nouveaux espaces, questionne les limites, remet en cause les représentations figées.
- En tant que marqueur de solidarité et de différenciation, il permet d’appartenir à un groupe tout en laissant la porte ouverte à l’individualité.
- Il met en lumière des normes implicites : sa fréquence, sa position dans la phrase, tout révèle les subtilités du rapport aux autres.
Des études parues dans Behavior Research Methods ou le Journal of Cognitive Psychology mettent en avant l’impact de cette circulation sur la perception des rôles, des attentes, des identités chez les adolescents. « Genre » brouille les pistes entre masculin et féminin, mais ne se limite pas au débat sur l’identité de genre : il transforme la langue en instrument d’exploration et de remise en question permanente.
Réseaux sociaux, milieu urbain : des terrains d’expérimentation linguistique
Dans les centres urbains, sur Instagram ou TikTok, dans les halls d’immeubles comme dans les groupes de discussion, le mot « genre » circule sans relâche. La langue des adolescents se façonne au contact de ces environnements multiples, affranchie des codes scolaires. Exposés à un déluge de messages, ils mêlent langage SMS, verlan, argot, et brouillent la frontière entre oral et écrit.
Ce constat, les linguistes Jean-Pierre Goudaillier et Maria Candea l’ont documenté : la créativité langagière des adolescents ne connaît pas de pause. « Genre » s’invite partout : dans un audio, dans une légende de story, dans un commentaire sous une vidéo. Sa fréquence monte, son rôle s’affine, il s’impose comme un pivot du nouveau langage adolescent.
Voici quelques situations où l’on perçoit l’influence de « genre » sur ces nouveaux usages :
- Sur les réseaux sociaux, « genre » sert à tempérer un propos ou à annoncer un récit : « j’étais genre trop surpris ».
- Dans la rue, de Paris à Marseille, il devient le signe d’une complicité : le prononcer, c’est affirmer sa présence au sein d’une communauté linguistique en mouvement.
Les cahiers sociolinguistique (Cairn) rappellent que ces pratiques remettent en cause la norme académique tout en alimentant l’évolution du français contemporain. Les outils numériques diffusent à grande vitesse ces inventions, abolissant les limites entre parler local et langage mondialisé. Chaque espace, la ville, la banlieue, les réseaux, devient un terrain d’expérimentation où le rapport à la langue, à l’identité, au genre se redéfinit, sans jamais se figer.
À force de circuler de conversation en conversation, « genre » s’est taillé une place de choix : ni simple effet de mode, ni révolution de surface, c’est le témoin d’une jeunesse qui façonne sa langue à son image, mouvante et inventive. Qui sait ce que sera le prochain mot à passer la frontière ?